PROJET

Programme national Parler Bambin : après 5 ans d’expérimentation, que disent les résultats ?

Grandir
Créer les conditions d’une expérimentation réussie sur la durée

Le 29 juin dernier, le webinaire de restitution du programme national Parler Bambin, animé par l'Ansa, a permis de partager les résultats et les perspectives de 5 années d’un travail d’expérimentation sans précédent dans le champ de la petite enfance.

 

Une expérimentation innovante et ambitieuse

 

Après avoir fait ses preuves dans quelques villes pionnières, l’approche Parler Bambin a fait l’objet d’un déploiement expérimental entre 2016 et 2021 dans une centaine de crèches métropolitaines afin d’en mesurer les effets, donnant naissance au programme national Parler Bambin. L’objectif : former les professionnel.les de crèches pour promouvoir des pratiques favorisant le développement langagier des 0-3 ans, et ainsi prévenir l'apparition d'inégalités dans l'acquisition du langage avant l'entrée à l'école. Cette recherche action, pilotée par l’Ansa et menée par les laboratoires J-PAL (Ecole d’économie de Paris - ENS) et Dynamique du Langage (Lyon II), présente des spécificités sans précédent dans le champ de la petite enfance, ce à plusieurs égards :

  • Par son ampleur :  94 structures se sont engagées dans le protocole de recherche, mais aussi de multiples partenaires convaincus du levier de la prévention et de l’expérimentation : chercheurs, gestionnaires de crèches, formatrices, professionnel.les de terrain, co-financeurs publics et privés ayant soutenu le projet… autant d’acteurs ayant permis de rendre le déploiement d’un tel projet possible.
  • Par ses modalités d'évaluation : le programme a fait l’objet d’une évaluation d’impact randomisée à grande échelle, permettant de comparer un groupe test et un groupe témoin de crèches, réparties aléatoirement : une première dans le champ de la petite enfance en France.
  • Par son ambition : lévaluation rigoureuse des effets d'une intervention pilote prometteuse, déployée largement dans des conditions d'implantation réalistes, tant pour des décideurs publics que pour les acteurs de terrain.

 

Des résultats qui témoignent d’une forte évolution des pratiques professionnelles

 

Les résultats confortent l'importance et la force de la formation continue des professionnel.les de la petite enfance pour engager l'évolution des pratiques professionnelles. En effet, on constate qu’à la suite de la formation, les professionnel.les adoptent largement les principes et les pratiques de Parler Bambin : les connaissances sur le développement du langage sont approfondies, les interactions sont plus stimulantes et plus riches avec les enfants.

« On constate des effets positifs très forts, aussi bien dans l’amélioration et l’enrichissement de la communication avec les parents, que dans la perception qu’ont les professionnel.les de leur rôle » - Marc Gurgand, directeur de recherche au CNRS et directeur scientifique du bureau Europe de J-PAL
 

Toutefois, face aux réalités de terrain des équipes (modalités d'organisation, roulement de personnel, essoufflement naturel des projets…), les résultats montrent que ce changement de pratiques s’estompe dans le temps. L'accompagnement des équipes formées dans la durée est donc une condition sine qua non à une évolution pérenne des pratiques professionnelles.

 

Un impact plus contrasté sur le développement de l’enfant qui ouvre de nouvelles pistes de réflexion

 

Les résultats de la recherche ne permettent pas d’identifier de résultats sur le développement langagier des enfants. Toutefois, on constate - un léger impact positif sur leur développement socio-affectif, particulièrement chez les enfants des mères les moins éduquées, et ceux étant arrivés très jeunes à la crèche. Les enfants des crèches formées à Parler Bambin ont ainsi une meilleure capacité à avoir des relations positives avec les autres, à exprimer leurs émotions d’une manière efficace et ont une meilleure confiance en eux.

« Cela a permis à des enfants de prendre confiance au sein du collectif. (…) On a pu voir après 2 ou 3 ateliers langages des enfants davantage en capacité d’aller vers l’adulte (…) Petit à petit au sein du groupe, l’enfant prenait sa place » - Virginie Bazin, infirmière puéricultrice - Coordinatrice Santé/handicap et parentalité à la ville d’Angers.
 
Ces informations indiquent le besoin d'aller plus loin pour accompagner le développement langagier et socio-émotionnel des enfants. Le renforcement de la relation entre les professionnel.les et les familles, notamment en soutenant les compétences parentales de manière proactive et bienveillante, est une piste à explorer davantage. « Le lien avec les familles était très fort et très important pour nous, que ce soit dans la mise en œuvre des ateliers langage ou dans les échanges que l’on a pu avoir par la suite. (…) On a pu constater au cours de ces temps que les parents étaient davantage en capacité d’exprimer leurs difficultés, leurs questionnements ou leur enthousiasme » poursuit Virginie Bazin.
 

Toutefois, il est évident que la crèche ne peut pas tout : influer plus significativement sur l'environnement de l'enfant et de sa famille en favorisant une intervention multi-acteurs pour former un continuum éducatif sur les enjeux de prévention constitue également un levier à creuser pour renforcer l’impact sur le développement du tout petit.

 

Comment s’assurer d’une bonne mesure des effets ?

 

Première dans son genre en France cette expérimentation représentait un véritable défi : parvenir à mesurer de manière rigoureuse et standardisée des effets sur le développement langagier de jeunes enfants n'ayant pas les mêmes rythmes de développement ni le même environnement langagier à la maison. Ces difficultés sont observées par Alejandrina Cristia, chercheure au Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique, directrice de recherche CNRS, qui souligne l’écart significatif dans les tranches d’âge des enfants observés (3 à 27 mois), et la proportion non-négligeable d’enfants bilingues ou trilingues (61% au sein de cette expérimentation). Nawal Abboub, co-directrice d’U.E. dans le département d’Etudes Cognitives à l’ENS complète : « Pour des enfants de moins de 3 ans, il est très difficile d’évaluer leur maitrise dans le langage car c’est à la fois un côté perceptif, expressif, côté communication : c’est multifactoriel. (…) Dans la littérature de l’interventionnel, il est très rare de trouver des effets très forts, en général les effets sont très faibles et sur des petits aspects : un peu comme ce que l’on a pu retrouver sur le développement socio-affectif. Et puis souvent les effets ne se voient pas à un an ou à 2 ans ; on les retrouve 3 ou 4 ans plus tard ». 
 

Si l'évaluation du développement langagier du tout-petit passe bien sûr par la mesure de la production lexicale,  il y a également beaucoup d'autres faisceaux d'indices à observer. Il est possible que le programme Parler Bambin produise des effets sur d’autres dimensions qui n’ont pas pu être mesurées, notamment en termes d’acquisition des précurseurs à la communication.  Il importe donc de continuer à expérimenter et tester des outils de mesure permettant d'identifier le plus finement possible les effets d'interventions précoces sur le développement cognitif du tout-petit.

 

Quelles perspectives pour demain ?

 

Le programme national Parler Bambin a ainsi ouvert la voie à un travail d'expérimentation d'un genre nouveau, dont nous tirons des enseignements riches pour la suite. Il ne s'agit bien entendu pas de renoncer face à l'absence d'effets identifiables sur le développement langagier des tout-petits : Les résultats de l’évaluation du programme national Parler Bambin sont ainsi moins perçus comme la seule boussole pour décider de la poursuite ou de l’abandon du projet, et davantage comme un appui de grande qualité à cette recherche d’amélioration continue des formations de prévention précoce autour du développement du tout-petit et de nouvelles expérimentations. Au vue du travail de recherche réalisé et des retours positifs des professionnels de terrain formés, nos partenaires nous ont fait part du souhait de continuer de développer des actions de prévention.

A cet égard et dans un objectif commun de réduire les inégalités sociales en agissant dès la petite enfance, l’Ansa continue à avancer : 

  • en déployant l’approche Parler Bambin en crèche tout en la faisant évoluer, fort des enseignements du terrain et de la recherche
  • en concevant et proposant des actions de formation à destination d’une pluralité d’acteurs de la petite enfance et du soutien à la parentalité (équipes de PMI, relais d’assistantes maternelles, professionnel.les de la protection de l’enfance, etc.).
  • et en restant en veille pour continuer à afin de continuer à repérer, tester et déployer des actions de prévention des inégalités prometteuses.

Trop peu de programmes interventionnels font l’objet d’évaluation aujourd’hui dans le champ de la petite enfance. Il est tentant pour certains de céder à la facilité en décrédibilisant un programme ne présentant pas de résultats suffisamment probants, sans prendre en considération le travail et les retours du terrain.  Nous leur répondons que c’est en expérimentant, en évaluant et en ajustant chemin faisant que l’on fera mûrir les projets au service d’actions de prévention efficaces et pertinentes.

Pour l’approche Parler Bambin aujourd’hui, mais également pour toutes les autres démarches de prévention de demain, ayons ensemble la détermination nécessaire pour continuer à évaluer avec des outils de mesure évolutifs et dans des conditions permettant aux décideurs publics et aux acteurs de terrain de se saisir de supports de prévention accessibles et évolutifs, riches des retours du terrain et de la recherche.

 

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